Etat des lieux
Dans l’imaginaire collectif, un auteur, tout comme un chanteur ou un acteur, gagne sa vie très correctement. Mais exactement comme pour d’autres artistes, les écrivains vraiment prospères ne sont pas légions. En dehors d’une J.K Rowling, d’un E.L James, d’un Harlan Coben ou d’un Stephen King, les auteurs richissimes ne courent pas les rues. Sont-ils malheureux en finances pour autant ? Ce n’est pas si sûr. Car si d’aucuns maugréent et protestent que les pourcentages négociés avec leur maison d’édition sur les ventes réalisées leur semblent insuffisants, d’autres au contraire, comme Anna Gavalda, refusent l’à-valoir (l’avance négociée sur les bénéfices réalisés pour un livre) proposé, par principe, faisant ainsi le choix de la liberté – intellectuelle – en ne touchant que leurs droits d’auteur.
D’autres encore ont tant de mal à s’accommoder des sommes versées d’un seul tenant qu’ils préfèrent se voir mensualisés. Tel est le cas de François Taillandier, de Jean Rolin ou encore de Renaud Camus (1). Par ailleurs, si les écrivains ont longtemps pu être inquiets à propos du calcul de leur rémunération pour leurs œuvres numérisées, les éditeurs les ont rassurés il y a déjà des années. « [Les auteurs]seront gagnants. Demain, leur rémunération sera calculée sur la base du fichier vendu, en tenant compte du prix sur catalogue ou conseillé par l'éditeur. Il est vrai que les anciens contrats entre éditeurs et auteurs ne comportent pas tous des clauses numériques. Nous devons clarifier de manière pragmatique les droits numériques qui, à nos yeux, font partie des droits principaux et non dérivés », annonçait Arnaud Nourry, PDG du groupe Hachette Livre, dès 2008 (2).
Agent ou auto-édition, un calcul pas toujours lucratif
Il est aussi des auteurs qui font le choix de se faire représenter par un agent, ou encore celui de l’auto-édition, restant ainsi libres de tout contrat d’édition. Rares sont ceux, cependant, qui commencent ainsi, aussi bien pour des questions de visibilité de leur travail – et donc de rémunération, l’un n’allant pas sans l’autre – que d’accompagnement. Car si un auteur peut avoir des qualités stylistiques et narratives évidentes, il est plus rare qu’elles atteignent d’emblée le faîte de leur potentiel, et le travail de la maison d’édition ne se résume pas à faire bondir les ventes. Le produit culturel qu’est le livre à venir doit être de qualité, et l’auteur bénéficie d’un entourage dédié aussi bien à la prospérité globale de son œuvre qu’à la sienne propre, car un auteur libéré des contingences financières sera plus à même de travailler sereinement. « (…) Notre métier, c'est de prendre des risques, d'accompagner un auteur sur le long terme, même s'il y a des pannes, des périodes de doute. (…) Le risque, encore une fois, c'est que si un livre qu'on a acheté 40.000 euros, avec en plus les frais de traduction, se vend à 2000 exemplaires, on ne rempilera pas. Alors que si on le paie moins cher, on peut s'obstiner. C'est à double tranchant, pour l'auteur aussi » (3) explique Antoine Gallimard.
Choisir de se faire représenter par un agent, ou préférer encore le système de l’auto-édition, amène certes une plus grande liberté, mais également une plus grande solitude, sans parler du fait que l’auteur se retrouve bien plus fréquemment face à l’écueil de la vente, particulièrement s’il débute. Car faire négocier la vente des droits d’auteur par son agent, si l’on est inconnu, peut-être aussi difficile que d’écouler son livre en auto-édition. Si c’est en effet une satisfaction immense de voir son travail publié et disponible à la vente, ce peut également être un bon calcul financier dans la mesure où la quasi-totalité des recettes ira directement dans l’escarcelle de l’écrivain, et l’argument peut être tentant. Mais si Marc-Edouard Nabe, après vingt-sept ouvrages parus dans les plus grandes maisons françaises, peut suivre le raisonnement suivant : « Pourquoi me contenterais-je de 10 % de droits d'auteur, alors que je peux en toucher 60 ou 70 % ? » (4), la rhétorique n’est pas valable pour tout le monde. Un jeune écrivain vivra mieux d’un contrat avec une maison d’édition, entre son à-valoir et le pourcentage négocié sur ses droits d’auteur, que de 60 à 70 % brut sur les ventes effectuées, s’il n’écoule qu’une poignée d’exemplaires.
Des vertus de la chaîne de… valeur
De fait, sans un travail promotionnel de longue haleine sur l’ouvrage, sans le relais médiatique qui donnera de la visibilité au titre, le livre restera inconnu du grand public dans 99,9 % des cas. Compter sur le bouche à oreilles seul relève du fantasme. Cela peut arriver, exactement comme ce fut le cas pour la musique avec l’avènement de My Space, mais les exemples sont restés rarissimes au regard du nombre de morceaux postés sur le réseau social. Par ailleurs, l’auto-édition, pour un jeune écrivain, peut avoir un effet délétère sur son travail. Désireux de rencontrer un public, l’auteur peut avoir la tentation d’adapter son travail à la demande du public, et même en admettant que l’entreprise fonctionne, ce genre de succès est, la plupart du temps, lié à un effet de mode qui définit l’artiste comme son travail dans le temps, le rendant « has-been » une fois la mode passée.
Et au-delà des aspects purement commercial et financier, travailler de concert avec une maison d’édition suppose faire vivre la chaîne du livre. Car si l’auteur est à l’origine du produit qui fait vivre toute l’industrie, il ne peut se dissocier du processus sans entraîner la mort de tout ou partie des acteurs de la chaîne. Les maisons d’édition bien sûr, mais également les distributeurs, les libraires… Sans compter le fait que, sans les maisons d’édition, exactement comme si l’on éradiquait les maisons de disques ou les producteurs de cinéma, la qualité d’une œuvre ne pourrait plus se mesurer qu’en termes de chiffres de vente. Autant dire la mort de la diversité des ouvrages…
(1) Ce que gagnent les écrivains, l’Express, 2/04/2010, http://www.lexpress.fr/culture/livre/ce-que-gagnent-les-ecrivains_859800.html
(2) « Le livre n’est pas menacé par un transfert numérique », Le Figaro, 06/05/2008, http://www.lefigaro.fr/medias/2008/05/06/04002-20080506ARTFIG00007-nourry-pas-de-menace-d-un-transfert-numerique-massif.php
(3) Antoine Gallimard : « Nos auteurs ne sont pas si mal payés ! », Le Nouvel Observateur, le 19/04/14, http://bibliobs.nouvelobs.com/actualites/20140417.OBS4319/agents-litteraires-le-coup-de-gueule-de-gallimard.html
(4) Marc-Edouard Nabe, auto-éditeur, l’Express, 01/04/2010, http://www.lexpress.fr/culture/livre/marc-edouard-nabe-auto-editeur_859801.html
Dans l’imaginaire collectif, un auteur, tout comme un chanteur ou un acteur, gagne sa vie très correctement. Mais exactement comme pour d’autres artistes, les écrivains vraiment prospères ne sont pas légions. En dehors d’une J.K Rowling, d’un E.L James, d’un Harlan Coben ou d’un Stephen King, les auteurs richissimes ne courent pas les rues. Sont-ils malheureux en finances pour autant ? Ce n’est pas si sûr. Car si d’aucuns maugréent et protestent que les pourcentages négociés avec leur maison d’édition sur les ventes réalisées leur semblent insuffisants, d’autres au contraire, comme Anna Gavalda, refusent l’à-valoir (l’avance négociée sur les bénéfices réalisés pour un livre) proposé, par principe, faisant ainsi le choix de la liberté – intellectuelle – en ne touchant que leurs droits d’auteur.
D’autres encore ont tant de mal à s’accommoder des sommes versées d’un seul tenant qu’ils préfèrent se voir mensualisés. Tel est le cas de François Taillandier, de Jean Rolin ou encore de Renaud Camus (1). Par ailleurs, si les écrivains ont longtemps pu être inquiets à propos du calcul de leur rémunération pour leurs œuvres numérisées, les éditeurs les ont rassurés il y a déjà des années. « [Les auteurs]seront gagnants. Demain, leur rémunération sera calculée sur la base du fichier vendu, en tenant compte du prix sur catalogue ou conseillé par l'éditeur. Il est vrai que les anciens contrats entre éditeurs et auteurs ne comportent pas tous des clauses numériques. Nous devons clarifier de manière pragmatique les droits numériques qui, à nos yeux, font partie des droits principaux et non dérivés », annonçait Arnaud Nourry, PDG du groupe Hachette Livre, dès 2008 (2).
Agent ou auto-édition, un calcul pas toujours lucratif
Il est aussi des auteurs qui font le choix de se faire représenter par un agent, ou encore celui de l’auto-édition, restant ainsi libres de tout contrat d’édition. Rares sont ceux, cependant, qui commencent ainsi, aussi bien pour des questions de visibilité de leur travail – et donc de rémunération, l’un n’allant pas sans l’autre – que d’accompagnement. Car si un auteur peut avoir des qualités stylistiques et narratives évidentes, il est plus rare qu’elles atteignent d’emblée le faîte de leur potentiel, et le travail de la maison d’édition ne se résume pas à faire bondir les ventes. Le produit culturel qu’est le livre à venir doit être de qualité, et l’auteur bénéficie d’un entourage dédié aussi bien à la prospérité globale de son œuvre qu’à la sienne propre, car un auteur libéré des contingences financières sera plus à même de travailler sereinement. « (…) Notre métier, c'est de prendre des risques, d'accompagner un auteur sur le long terme, même s'il y a des pannes, des périodes de doute. (…) Le risque, encore une fois, c'est que si un livre qu'on a acheté 40.000 euros, avec en plus les frais de traduction, se vend à 2000 exemplaires, on ne rempilera pas. Alors que si on le paie moins cher, on peut s'obstiner. C'est à double tranchant, pour l'auteur aussi » (3) explique Antoine Gallimard.
Choisir de se faire représenter par un agent, ou préférer encore le système de l’auto-édition, amène certes une plus grande liberté, mais également une plus grande solitude, sans parler du fait que l’auteur se retrouve bien plus fréquemment face à l’écueil de la vente, particulièrement s’il débute. Car faire négocier la vente des droits d’auteur par son agent, si l’on est inconnu, peut-être aussi difficile que d’écouler son livre en auto-édition. Si c’est en effet une satisfaction immense de voir son travail publié et disponible à la vente, ce peut également être un bon calcul financier dans la mesure où la quasi-totalité des recettes ira directement dans l’escarcelle de l’écrivain, et l’argument peut être tentant. Mais si Marc-Edouard Nabe, après vingt-sept ouvrages parus dans les plus grandes maisons françaises, peut suivre le raisonnement suivant : « Pourquoi me contenterais-je de 10 % de droits d'auteur, alors que je peux en toucher 60 ou 70 % ? » (4), la rhétorique n’est pas valable pour tout le monde. Un jeune écrivain vivra mieux d’un contrat avec une maison d’édition, entre son à-valoir et le pourcentage négocié sur ses droits d’auteur, que de 60 à 70 % brut sur les ventes effectuées, s’il n’écoule qu’une poignée d’exemplaires.
Des vertus de la chaîne de… valeur
De fait, sans un travail promotionnel de longue haleine sur l’ouvrage, sans le relais médiatique qui donnera de la visibilité au titre, le livre restera inconnu du grand public dans 99,9 % des cas. Compter sur le bouche à oreilles seul relève du fantasme. Cela peut arriver, exactement comme ce fut le cas pour la musique avec l’avènement de My Space, mais les exemples sont restés rarissimes au regard du nombre de morceaux postés sur le réseau social. Par ailleurs, l’auto-édition, pour un jeune écrivain, peut avoir un effet délétère sur son travail. Désireux de rencontrer un public, l’auteur peut avoir la tentation d’adapter son travail à la demande du public, et même en admettant que l’entreprise fonctionne, ce genre de succès est, la plupart du temps, lié à un effet de mode qui définit l’artiste comme son travail dans le temps, le rendant « has-been » une fois la mode passée.
Et au-delà des aspects purement commercial et financier, travailler de concert avec une maison d’édition suppose faire vivre la chaîne du livre. Car si l’auteur est à l’origine du produit qui fait vivre toute l’industrie, il ne peut se dissocier du processus sans entraîner la mort de tout ou partie des acteurs de la chaîne. Les maisons d’édition bien sûr, mais également les distributeurs, les libraires… Sans compter le fait que, sans les maisons d’édition, exactement comme si l’on éradiquait les maisons de disques ou les producteurs de cinéma, la qualité d’une œuvre ne pourrait plus se mesurer qu’en termes de chiffres de vente. Autant dire la mort de la diversité des ouvrages…
(1) Ce que gagnent les écrivains, l’Express, 2/04/2010, http://www.lexpress.fr/culture/livre/ce-que-gagnent-les-ecrivains_859800.html
(2) « Le livre n’est pas menacé par un transfert numérique », Le Figaro, 06/05/2008, http://www.lefigaro.fr/medias/2008/05/06/04002-20080506ARTFIG00007-nourry-pas-de-menace-d-un-transfert-numerique-massif.php
(3) Antoine Gallimard : « Nos auteurs ne sont pas si mal payés ! », Le Nouvel Observateur, le 19/04/14, http://bibliobs.nouvelobs.com/actualites/20140417.OBS4319/agents-litteraires-le-coup-de-gueule-de-gallimard.html
(4) Marc-Edouard Nabe, auto-éditeur, l’Express, 01/04/2010, http://www.lexpress.fr/culture/livre/marc-edouard-nabe-auto-editeur_859801.html