L'engagement: une valeur managériale à effet de levier?



Patrick Laperoux
Jeudi 26 Janvier 2012

Comment concilier la compétitivité et la responsabilité sociale d’entreprise ? Telle est la question à laquelle doivent apporter une réponse efficace des milliers de patrons français qui font actuellement face à la crise. Les notions de bonne gouvernance, d’éthique et de développement durable sont désormais enseignées aux futurs dirigeants d’entreprise dans les écoles de commerce, mais quelle est la réalité sur le terrain ? La presse abonde de contre-exemples et se focalise sur les « patrons voyous », qui n’hésitent pas à licencier à tour de bras ; sur les « patrons prédateurs » qui provoquent des faillites pour se "remplir les poches" ; et sur « les dirigeants escrocs » qui profitent des financements publics à des fins d’enrichissement personnel.


L'engagement: une valeur managériale à effet de levier?
Les valeurs humaines du patron constituent un socle sur lequel l’entreprise est construite comme une combinaison sociale. L’entreprise n’est jamais une « île ». Elle est reliée à la collectivité par des milliers de fils invisibles. Au-delà de la vision libérale du prix Nobel de l’Economie Milton Friedman, pour qui « les entreprises n’ont d’autre responsabilité que celle de gagner de l’argent », l’entreprise est également une entité sociale, qui contribue à la collectivité dans la mesure du possible. De plus en plus, les entreprises adoptent de leur plein gré une approche environnementale dans leur activité, en économisant les ressources et en réduisant la facture énergétique. Elles se préoccupent aujourd’hui d'autres considérations que leur compte d’exploitation, en s’interrogeant sur l’impact de leur activité sur la société dans laquelle elles évoluent. Intéressons-nous donc à des patrons qui ont puisé leur vision stratégique dans une conviction profonde, qu’elle soit guidée par des considérations humaines, environnementales ou patriotiques. Ces dirigeants d’entreprises sont réputés pour être engagés, actifs et humanistes. Ils expriment leurs valeurs à travers un management fondé sur la responsabilité.

Pionnier dans la responsabilité sociale de l’entreprise

Antoine Riboud, ce Lyonnais autodidacte, fut le fondateur d’un des leaders mondiaux dans l’industrie agroalimentaire – Danone. Antoine Riboud (1918 – 2002) a marqué l’histoire des grands patrons français. Il s’est fait connaître non seulement pour le caractère visionnaire de ses projets et par son caractère fonceur, mais aussi en tant que patron humaniste. Au cours de sa carrière particulièrement prolifique, il a toujours réussi à concilier capital humain et résultats financiers. Ses salariés ont gardé de lui le souvenir d’un patron engagé, doté de convictions et d’une vision sur la société.

Antoine Riboud est toujours resté attentif à l’évolution de la société. Il a su tirer les leçons sociales de mai 1968, en observant le caractère indissociable des buts humains et économiques. Pierre Labasse, dans son livre « Un patron dans son siècle » (Le Cherche Midi, 2007), dresse le portrait d’un dirigeant qui « avant les autres a imaginé et concrétisé certaines des avancées sociales qui ont permis la modernisation de la France : la nécessité de prendre en compte la dimension humaine de l'entreprise pour assurer son efficacité économique, la concertation avec les partenaires sociaux, l'expression du personnel, le dialogue avec les acteurs extérieurs, la réduction du temps de travail négociée en contrepartie d'améliorations de la productivité ». C'est notamment ce qui amène Labasse à le qualifier de "précurseur" de la responsabilité sociale de l’entreprise en France.

Le fondateur de Danone, en effet, a suivi les mutations de la société: symboliquement, le 11 novembre 1989, il accompagne à Berlin son ami le violoncelliste Mstislav Rostropovitch, qui a célébré la chute du mur de Berlin en jouant J.S. Bach.

Une vision stratégique du développement durable

En 2009, Nicolas Dmitrief a pris les commandes du groupe CNIM. Cette entreprise internationale a été fondée par son grand-père en 1966, lorsque celui-ci a repris les Forges et Chantiers de la Méditerranée, entreprise alors en faillite. Au cours de son développement, grâce à un actionnariat stable et un engagement constant de la direction, le groupe a connu une croissance soutenue grâce à l'amélioration permanente de son savoir-faire dans les technologies environnementales et énergétiques (dans lesquelles CNIM détient désormais une part de leadership). Mais aussi grâce à une ambitieuse politique d'investissement en R&D. Le développement de nouvelles technologies fut initié par le père de Nicolas Dmitrieff, Vsevolod, dans le cadre d’une stratégie de diversification. Les nouvelles technologies sont alors devenues la force motrice du groupe, qui revendique désormais un haut degré "d’excellence dans chacune de ses activités par la maîtrise de l’ensemble de ses technologies".

Traitement des déchets et épuration de fumées, mais aussi génération de l’énergie tels que la technologie solaire à concentration: autant d'essais transformés sous l'égide de Nicolas Dmitrieff qui, depuis maintenant 2 ans, porte à bouts de bras les efforts du groupe dans le domaine de l'écologie. "Nous consacrons une partie importante de nos capacités financières aux activités de Recherche et Développement, au renforcement des compétences et savoir faire des collaborateurs par la formation, et à l’évolution de nos outils de production" explique-t-il. Avant d'ajouter: "Si notre offre actuelle de services est déjà performante, elle sera indubitablement amenée à intégrer de manière croissante de nouvelles technologies de l’information et de la communication et des systèmes experts de gestion, contrôle et diagnostic." C'est donc fidèle aux valeurs fondatrices et à l'héritage industriel du groupe que Nicolas Dmitrieff manifeste son engagement: celui de la créativité au profit du développement durable. Un engagement récemment réaffirmé par son père, Vsevolod Dmitrieff, en ces termes: "CNIM est resté fidèle à l’esprit qui animait ses fondateurs: un esprit d’entrepreneurs, guidé par l’innovation, l’audace, et l’excellence. Cette volonté sans faille de préserver son identité (...) a permis à CNIM de se construire dans la durée."

Les patrons français face à la collectivité

Bien que les pratiques managériales soient désormais réglementées par des « chartes d’éthique », il ne faut pas ignorer le rôle joué par les valeurs humaines des dirigeants d’entreprise. Le philosophe français Emmanuel Lévinas insistait sur le rôle du facteur humain dans la mise en pratique de la bonne gouvernance, en parlant de l’éthique qu’il définissait comme une « responsabilité à l’égard d’autrui », « une obligation dans laquelle chaque homme doit veiller sur son prochain, sans pouvoir prétendre à la réciprocité ».

Aujourd’hui, la collectivité attend des patrons un engagement civique et une attitude responsable. Les patrons sont vus comme des acteurs du progrès et de l’innovation, comme des pionniers audacieux qui font avancer la société ; et comme des parties prenantes du développement régional et national.

Notez