Le béton, ce matériau révolutionnaire qui frappe les esprits depuis l’Antiquité



Cafeine Le Mag
Mardi 13 Février 2018

L’ « opus caementicium » (le terme latin qui donné « ciment »), continue de susciter la curiosité des chercheurs sur sa durabilité. De nombreux édifices témoignent de la résistance de cette invention ingénieuse qui a permis à nombre de chefs d’œuvre architecturaux de traverser les siècles, voire les millénaires.


Lors de son dernier symposium international en juin dernier, axé sur le futur du ciment, toute l'industrie cimentière française a salué la grande polyvalence du matériau, qui continue de répondre aux défis sociétaux contemporains, en termes de durabilité, de sécurité et d’efficacité. Le « béton est un matériau en éternel développement, chargé d’histoire », « porteur d’une empreinte culturelle », ont rappelé les architectes Etienne Tricaud et Tarik Oualalou. (1)
 
Considéré tour à tour comme le symbole de la « modernité et du luxe » dans les années 20, puis celui de la « misère architecturale et sociale » après l’urbanisme sauvage des années 60, marqué par des constructions au rabais, le béton n’en finit pas de se transformer au fil du temps. « Après les excès des années 60 à 80, on revient à la considération de la qualité du matériau et au souci de retravailler le béton. Il existe aujourd’hui 2500 échantillons de béton différents en variant les traitements (poli, sablé, etc.) mais aussi les composants (minéraux, verre, etc.). Ces bétons-là rivalisent avec le granit ou le marbre et ils peuvent même avoir des teintes, des textures, des grains, que les pierres les plus rares n’ont pas », souligne Bernard Marrey, historien en architecture. Le MUCEM à Marseille, ce musée en béton fibré consacré aux civilisations antiques de la Méditerranée, en est une belle illustration. Il s’inscrit dans la longue lignée des plus grands édifices en béton que l’on peut encore admirer 2000 ans après J-C. (2)
 
La technique de l’opus caementicium
 
Aujourd’hui, il n’est pas rare d’emprunter une route gallo-romaine en raison notamment de son rôle stratégique et militaire dans l’ascension de l’Empire romain. A cette époque, le réseau routier (400.000 kilomètres) comptait 85.000 kilomètres de routes pavées pour permettre le déplacement des légions et le contrôle des territoires. Pour construire ces voies, les Romains utilisaient le blocage ou « opus caementicum », expression latine à l’origine du mot « ciment » : une sorte de béton constitué d’eau, de chaux, de pouzzolane (un sable volcanique que l’on trouve près de Naples) et des fragments de briques ou de pierre.
 
L’ingénierie romaine consistait à étendre une première couche de béton dans une fosse remplie de roches, de sable ou de gravier et une seconde couche après la pose de grandes dalles rocheuses polygonales pour rendre la surface plane. Grâce à cette technique, les routes romaines avaient besoin de peu d'entretien et pouvaient résister au gel et aux inondations. Une prouesse vivement saluée par les scientifiques. « Les Romains ont consacré [à cette recette] énormément de travail, c'était des gens très intelligents », estime Marie Jackson, géologue à l’Université de l’Utah et principal auteur de l’étude « le secret du béton romain » publiée dans la revue American Minéralogiste. (3)
 
Le Panthéon de Rome
 
En inventant l’opus caementicium, les Romains ont revisité les codes de l’architecture en introduisant des formes inédites : l’arc, la voûte et la coupole. Au-delà du côté pratique, les propriétés techniques du béton romain ont offert des perspectives artistiques nouvelles que les maîtres d’ouvrage et les architectes se sont empressés de tester pour bâtir des édifices d’une modernité architecturale exceptionnelle. Ce béton, reconnu pour sa solidité et sa durabilité, peut de surcroît être fabriqué sur site : il peut être coulé dans des moules ou des coffrages afin d’obtenir des structures de formes diverses. L’un des plus beaux ouvrages en béton, témoin de ce renouveau architectural, est le Panthéon de Rome, érigé sous l’empereur Hadrien vers 126 après J.-C. Son dôme monumental à caissons qui surmonte le bâtiment possède un diamètre de 150 pieds romains (soit un peu plus de 43 m) égal à sa hauteur.
 
Cette prouesse architecturale repose sur la technique de l’opus caementicium, offrant la possibilité de jouer sur la répartition des poids. Le choix de la forme ronde du Panthéon tranche avec les lignes droites empruntes à la Grèce antique. Le Panthéon de Rome, selon les architectes de l’époque, est une représentation cosmique de l’univers dominé par le pouvoir de l’empereur, protégé de tous les dieux. « J’avais voulu que ce sanctuaire de tous les Dieux reproduisît la forme du globe terrestre et de la sphère stellaire , du globe où se renferment toutes les semences du feu éternel, de la sphère creuse qui contient tout », écrit Margueritte Yourcenar dans son livre consacré aux mémoires d’ Hadrien. « Le plus beau reste de l’Antiquité romaine », confie Stendhal dans son ouvrage Promenades dans Rome. (4)
 
De nouvelles perspectives sur la façon de produire le béton
 
La majesté du pont du Gard, autre symbole du génie romain, compte parmi les édifices les mieux conservés depuis 2000 ans. Cet aqueduc, niché dans la pittoresque vallée du Gardon près d’Avignon, se compose de trois étages d'arcades superposées sur une hauteur d’un peu plus de 48m et une longueur de 273 mètres. Seule la partie la plus élevée, abrite la canalisation assurant la circulation de l’eau. Ce conduit était complètement étanche grâce à la fabrication de moellons liés au mortier constitué d’un béton romain à base de chaux, recouvert d’un enduit à base d'oxyde ferrique pour éviter l’érosion liée au calcaire.
 
Quel est le secret de ces constructions en béton qui perdurent dans le temps, s’interrogent les chercheurs ? Des scientifiques américains pensent avoir enfin percer le mystère. La durabilité du béton romain résulte, selon eux, de sa composition : un mélange de chaux, de cendres et roches volcaniques mais également d’eau de mer. C’est justement ce dernier ingrédient, l’eau de mer qui, à travers sa fonction de filtrage du béton, favoriserait le développement de minéraux entrelacés. C’est donc la présence de ces minéraux entrelacés qui renforcerait la structure du béton romain, explique Marie Jackson, géologue de l’université de l’Utah.
 
Malheureusement, « la recette a été complètement perdue », remarque Marie Jackson. Les Romains ont, selon l’étude, bénéficié d’un certain type de roche volcanique difficile à trouver aujourd’hui. « Il faudrait donc trouver des alternatives avec d’autres roches », note Mary Jackson, « mais vous n’obtiendrez jamais le même résultat ». Cette recherche ouvre néanmoins « une perspective complètement nouvelle de la façon dont le béton peut être produit - que ce que nous considérons comme des processus de corrosion peut en fait produire du ciment minéral extrêmement bénéfique et conduire à une résistance continue », affirme Marie Jackson. (5) C’est aussi l’occasion d’une belle leçon d’humilité par rapport à l’ingéniosité qui pouvait développer des architectes nés pour certains à l’époque du Christ.
 
(1) http://www.betocib.net/index.php/C7/P5/
(2) http://next.liberation.fr/culture/1999/03/30/le-beton-a-paris-exposition-au-pavillon-de-l-arsenal-beau-comme-du-beton-bernard-marrey-rehabilite-u_268867
(3) http://www.maxisciences.com/beton/pourquoi-le-beton-de-la-rome-antique-est-il-bien-plus-resistant-que-le-beton-moderne-mystere-resolu_art39683.html
(4) http://www.italialibri.net/international/francais/promenadesdansrome.html
(5) http://lolwat.me/monument-ciment-antique-solution_win.html 
 

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