Le private equity, ou la co-construction de sens autour du projet d’entreprise



Cafeine Le Mag
Jeudi 26 Janvier 2012

La finance, tant critiquée en ce moment et, pour une partie, à juste droit, joue pourtant un rôle essentiel dans la transition vers un autre modèle économique. Depuis quelques années, les fonds d’investissement se sont attachés volontairement à encadrer leurs activités par des règles éthiques, regroupées sous l’acronyme ESG (environnement, social, gouvernance).


Le private equity, ou la co-construction de sens autour du projet d’entreprise
Ces critères ESG sont fondés sur l’idée que les fonds d’investissement contribuent à faire évoluer l’actionnariat des entreprises et à accompagner leur développement. Ces fonds d’investissement, finalement, permettent aux différentes parties prenantes de l’entreprise, les managers et les investisseurs eux-mêmes, de développer une vision partagée du projet d’entreprise sur le long terme.

« L’initiative stratégique appartient naturellement au dirigeant et à l’équipe de gestion de l’entreprise (…) Mais ce plan n’existe que lorsqu’il est validé par le conseil d’administration (lequel comprend des représentants des fonds d’investissement, NDR) qui est responsable des orientations de la société. Un dialogue s’instaure qui va enrichir la vision de l’entrepreneur. Le conseil d’administration ou de surveillance devient ainsi un sounding board, un espace de discussion stratégique. Les fonds d’investissement sont là pour apporter aux dirigeants d’entreprise le souci des investisseurs, de favoriser l’éclosion d’une stratégie environnementale, sociale et respectant la gouvernance de l’entreprise », affirme une copieuse étude du Club « développement durable » de l’Association française des investisseurs en capital (AFIC.

Les fonds d’investissement ne se trouvent pas à l’origine de ces critères ESG. Ceux-ci sont le fruit d’une évolution sociologique très profonde qui irrigue toute la société. De plus en plus, les individus recherchent une vision de long terme et les investissements durables pour satisfaire des besoins réels. Pour cela, les citoyens, regroupés dans des associations de consommateurs, par exemple, agissent de manière de plus en plus prégnante et efficace pour faire aboutir leurs idées. Ce sont également des actionnaires individuels, parfois également présents dans des organisations non-gouvernementales, qui agissent au sein des assemblées générales d’actionnaires pour faire aboutir des revendications sociétales. Ils trouvent parfois écho de leurs préoccupations auprès de certains investisseurs puissants dits activistes.

Ce mouvement d'ailleurs est mondial, et les investisseurs en capital en ont tenu compte. Ainsi, le fonds d’investissement Carlyle, l’un des plus puissants au monde, va mettre en place, en 2011, des indicateurs environnementaux dans des entreprises représentant 30 milliards de dollars d’actifs afin de les inciter à s’engager dans la voie d’une économie soucieuse d’environnement. D’autres fonds d’investissement de toutes tailles, tel KKR, la Caisse des Dépôts et Consignations ou Pragma Capital, ont initié des stratégies ambitieuses.

Cette évolution sociologique et économique est si profonde qu’elle s’est traduite dans la loi. En 2001, en France, les pouvoirs publics ont fait voter une loi dite NRE (pour Nouvelles régulations économiques) qui incite les entreprises cotées à intégrer les critères ESG dans leur gestion quotidienne. Peu à peu, cette loi NRE quitta le cénacle encore étroit des entreprises cotées pour s’introduire dans le monde beaucoup plus foisonnant des entreprises non cotées. Ce mouvement a été très souvent initié par des fonds d’investissement.

Désormais, l’incitation est portée au plan mondial, sous l’incitation, encore, des fonds d’investissements et de Kofi Annan, alors secrétaire général de l’ONU. Cette impulsion a conduit à la rédaction de Principes pour un investissement responsable (PRI en partenariat avec le programme pour l’environnement/ initiative finance ainsi que le Pacte mondial des Nations unies. De meilleurs retours sur investissements s’accompagnent désormais d’une meilleure prise en compte de l’environnement, du social et de la gouvernance d’entreprise.

À ce jour, quelques 81 sociétés de capital d’investissement ont signé ces PRI. Parmi elles, Activa capital, Axa private Equity, Global private Equity, PAI Partners, ou Pragma Capital. Mieux, ce mouvement a incité la plupart des sociétés de gestion françaises à prendre en compte ces préoccupations éthiques dans leurs décisions d’investissement. Selon une enquête menée par Novethic, 66 % des 300 sociétés de gestion représentatives du segment français du capital investissement déclarent prendre en compte des critères ESG dans leurs choix financiers.

Très concrètement, comment cela se passe-t-il ? Sous l’influence de Pragma Capital, qui l'a repris en 2007, le groupe de déménagement Demeco s’est lancé dans une démarche environnementale qui lui a permis d’acquérir une position leader sur son marché, dans un secteur pourtant peu attiré par l’écologie. Car la démarche de développement durable insufflée par Pragma Capital a convaincu les clients de Demeco, certes, Monsieur Tout-le-monde, mais aussi de très importants prospects. L’intégration systématiquement de critères de développement durable s’est traduite dans une certification ISO 14001. Elle a permis au groupe d’accéder à des marchés publics et de développer son chiffre d’affaire de plus de 10 millions d’euros sur trois ans. De la même manière, le groupe a pu emporter des marchés ouverts par des entreprises du CAC 40 fortement sensibilisé aux thématiques environnementales. De plus, les discussions menées entre le management et Pragma Capital au sein du conseil d’administration ont permis de rationaliser les consommations et de mieux maîtriser l’impact de l’activité sur l’environnement. Stéphane Monmousseau, l'un des co-fondateurs de Pragma Capital, insiste à ce titre sur les enjeux stratégiques de l'investissement socialement responsable. "Les entreprises qui satisfont aux exigences de bonne gouvernance, aussi bien sur le plan environnemental que sur le plan social, s'insèrent avec cohérence dans une tendance de fond: les consommateurs, les pouvoirs adjudicateurs réclament aujourd'hui davantage de responsabilité et d'éthique, devenues des critères de sélection discriminants sur un marché. Les entreprises qui s'en exonèrent sont tôt ou tard confrontées au risque d'opinion, à la sanction du consomm'acteur", explique-t-il.

Mais l'ISR fait également irruption auprès d'investisseurs plus "institutionnels", comme le Fonds Stratégique d'Investissement (FSI), créé en 2008 par l'Etat pour apporter des capitaux frais aux entreprises depuis le début de la crise financière. Sa stratégie ayant été récemment critiquée en raison de licenciements intervenus dans les sociétés dans lesquelles il avait massivement investi (Nexans, Valeo et Technip notamment), le FSI entend dorénavant mettre l'accent sur l'impact social de ses investissements. Il vient à cet effet de publier un guide de dix bonnes pratiques en matière d'ISR, au premier rang desquelles la préservation de l'emploi et le renforcement du dialogue social. Bertrand Finet, l'un des directeurs du FSI rapportait à ce sujet l'anecdote suivante: "dans le cas d'une société industrielle dont je tairai le nom, et qui songeait à fermer un site, le FSI a posé comme condition à son entrée dans le capital le retrait de son projet".

Contrairement à toute attente, se pourrait-il alors que les investisseurs en capital deviennent la cheville ouvrière de la réconciliation entre le monde de l'entreprise et la société civile? Car c'est bien là que le projet d'entreprise trouve tout son sens: une entreprise performante, c'est une entreprise en phase avec l'air du temps, à l'écoute des aspirations sociétales.

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